Zuénoula et Gohitafla sur la route du bitume : entre espoirs, défis et oubli des axes secondaires (Reportage)
Au cœur du centre-ouest ivoirien, les départements de Zuénoula et Gohitafla, longtemps enclavés, connaissent une transformation routière majeure avec le bitumage progressif de plusieurs axes stratégiques. Si cette modernisation suscite de nombreux espoirs, elle met aussi en lumière une réalité plus contrastée : la dégradation persistante des routes secondaires, souvent reléguées au second plan.
Du désenclavement partiel au paradoxe des routes oubliées.
Parmi les projets emblématiques récemment réalisés figurent les axes Zuénoula–Vavoua (déjà opérationnel), Zuénoula–Daloa (en cours de finition avec un nouveau pont), ainsi que Zuénoula–Bouaké via Gohitafla, désormais entièrement bitumé, offre un gain de temps considérable aux usagers.
Ces infrastructures attendues depuis des décennies représentent un tournant pour les populations locales, longtemps confrontées à l’isolement. Mais cette dynamique peine à atteindre les routes secondaires, où la modernité du bitume côtoie des pistes dégradées, parfois impraticables.
Me Mathurin Bi Zou, juriste et fils de Zuénoula, souligne ce contraste. « Le paradoxe est frappant entre la route nationale A8 flambant neuve et l’état alarmant de l’axe Zuénoula–Bouaflé (63 km), pourtant bitumé depuis les années 1980».
Des avancées notables, malgré des points noirs persistants.
Sur les axes principaux, les travaux de bitumage avancent à un rythme soutenu. Le chantier Zuénoula–Daloa, notamment, progresse avec des engins à l’œuvre dans des localités telles que Sehifla, Dhèzra, Nianoufla et Duafla, particulièrement autour de Kanzra, chef-lieu de sous-préfecture. Cette activité intense a redynamisé l’économie locale. Sur l’axe Zuénoula–Vavoua via Zanzra, les chauffeurs et motocyclistes saluent la réduction du temps de trajet et de l’usure des véhicules. Le trafic de cars de nouvelle génération entre Vavoua et Zuénoula en témoigne.
Cependant, des tronçons comme Zuénoula–Bouaflé souffrent d’un entretien insuffisant. Les témoignages sont édifiants. « On tombe tout seul dans les trous, c’est dangereux », confie Bakayoko Abdoulaye, automobiliste. Les nids-de-poule freinent la circulation, provoquant agacement et accidents.
Routes secondaires, le maillon faible du développement rural
En marge de ces grands axes, les routes secondaires et communales restent dans un état critique. Des tronçons comme Manfla–Maminigui, Manfla–Gohitafla, Zuénoula–Mankono par Minfla, ou encore Gohitafla–Kounahiri via Iriéfla, demeurent des pistes poussiéreuses en saison sèche, boueuses en saison pluvieuse, et sinueuses toute l’année. Le tronçon Zuénoula–Mankono, vital pour relier la Marahoué au Béré, illustre parfaitement cette marginalisation. L’absence de bitumage contraint les transporteurs à faire de longs détours, souvent via Daloa ou Vavoua, rendant les trajets coûteux et dangereux, notamment à cause du vieux pont colonial encore en service.
Même situation pour l’axe Zuénoula–Vouéboufla, encore en attente de réhabilitation. Là aussi, les villageois se sentent oubliés. « Le bitume s’est arrêté à Zuénoula. A Vouéboufla, on vit toujours dans la boue et la poussière », déplore Kouakou Guillaume, planteur à Kouamékro.
Le quotidien des zones enclavées : désarroi et appels à l’aide
Les populations locales témoignent de leur quotidien difficile. A Iriéfla, Maminigui, ou Minfla, les pistes impraticables isolent les villages. Les femmes doivent parcourir des kilomètres à pied pour accéder aux marchés. Les élèves, faute de transport, abandonnent parfois l’école. « Si la route était praticable, on pourrait facilement évacuer nos vivres », déplore Kouamé Konan René, conducteur de tricycle à Maminigui. « Nous avons du piment, de l’igname, de l’aubergine… mais pas de route. Les produits pourrissent ici », ajoute Bolo Lou Léopoldine, responsable d’un groupement féminin à Zraluo.
«Nous avons du cacao, du maïs, de l’igname, de l’anacarde mais pas de route pour évacuer. Alors les produits pourrissent parfois ici pendant que les villes ont faim », explique Djaha Pauline, productrice agricole près de Iriéfla. « Ceux qui sont proches du goudron voient leur vie changer. Nous, on vit encore comme dans les années 80 », ironise un jeune de Minfla.
Une prise de conscience locale et des promesses d’amélioration
Le préfet de Gohitafla, Kouakou Yao, lors d’un entretien, le 5 juin 2025, a reconnu les difficultés d’accès dans certaines sous-préfectures, notamment Iriéfla et Maminigui, soulignant que ces localités sont concernées par le programme national d’entretien et de bitumage. Il a appelé à un entretien citoyen des infrastructures. « Il ne faut pas transformer les caniveaux en dépotoirs, ni brûler le bitume avec des pneus», a souligné M. Yao. Préoccupé par la hausse des accidents, surtout sur les nouveaux axes, il a annoncé des campagnes de sensibilisation, notamment auprès des jeunes conducteurs de deux-roues.
Dans une tribune très relayée, Me Mathurin Bi Zou a rappelé la portée historique du tronçon Zuénoula–Bouaflé, construit à l’époque coloniale et traversant la colline abrupte de Sécréningô, autrefois barrière naturelle. Il lance un appel à l’AGEROUTE et au ministère de l’Equipement pour sa réhabilitation urgente. « Il faut sauver cette voie vitale pour l’économie locale et régionale », plaide-t-il.
Entre espoirs et fractures persistantes
Les départements de Zuénoula et Gohitafla sont à la croisée des chemins. D’un côté, la modernisation des grands axes ouvre des perspectives de développement. De l’autre, l’oubli des routes secondaires menace de creuser les fractures territoriales. Les populations locales l’ont bien compris. « La route précède le développement, mais il faut que ce développement atteigne aussi les localités oubliées. », ont-t-elles souhaité.
Reportage réalisé par Amani Kouakou Robert (Agence Ivoirienne de Presse, CPP Zuénoula)





